Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nières étaient déjà bien mauvaises ; l’autre et celle-ci sont encore plus méchantes… Sur vingt arpents de froment,… qu’est-ce que j’ai récolté ? à peine cinquante setiers. Quelle moisson !… des demi-épis… et si clairs et si chétifs… Autant dire que ça m’aura produit semence pour semence… Ah ! maudite sois-tu, terre ingrate ! — s’écria le vieillard en frappant du pied avec désespoir.

— Oh ! le père a bien raison, — dit le fils, — tout va de mal en pis. Maudite soit la terre si ingrate au pauvre laboureur !… Maudite soit la terre si maligne et si revêche !

En entendant ces imprécations contre le mauvais vouloir de la terre, le charmant visage de Bruyère prit soudain une expression de tristesse et d’affliction, comme si elle avait entendu outrager injustement quelqu’un qui lui eût été cher et sacré. S’adressant au vieillard avec un accent de doux reproche, mêlé d’une certaine exaltation, qui donna à sa beauté un rare caractère d’élévation, elle dit :

— Oh ! respectez, aimez, bénissez la terre du bon Dieu ! mère généreuse, infatigable ; pour un grain ne rend-elle pas dix épis ? pour une glandée une forêt de chênes ? Toujours ouvert, son sein est prêt à tout féconder, depuis la graine que le vent sème, depuis le noyau du fruit tombant du bec des oiseaux, jusqu’à la semence que vous répandez dans vos sillons. Oh ! non, non, jamais la terre n’est ingrate ; si, à la longue, elle s’appauvrit, elle s’épuise, la pauvre nourricière ! c’est qu’en mère prodigue, toujours elle a donné au-dessus de ses forces, parce que toujours on lui a