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toit, et du graine-épi[1] pour nous chauffer ; mais les gardes à M. le comte ont défendu à mon homme de rien ramasser… Dam, alors, il a plu chez nous autant que dehors, et la nuit surtout, c’était froid,… froid comme gelée ; depuis ce temps-là, mon pauvre petit a pâli, a toussé, tremblé,… et puis enfin fondu comme vous le voyez, — dit la femme en pleurant. — Ah ! ma bonne chère fille,… je n’espère plus qu’en vous,… vous pouvez ce que vous voulez… C’est rien,… quelques paroles à dire. Délivrez-le donc de son mal, s’il vous plaît, comme vous en avez délivré les aigneaux.

Plusieurs fois, durant cette naïve et triste consultation, Bruyère avait été sur le point d’interrompre la pauvre femme, mais elle ne s’en était pas senti le courage ; après avoir attentivement regardé l’enfant, et pris ses deux petites mains livides et froides dans la sienne, elle dit à sa mère en soupirant :

— Aux agneaux, voyez-vous… il ne manquait ni le lait de leur mère pour les nourrir, ni sa toison pour leur tenir chaud ; leur seul mal était d’être enfermés jour et nuit dans une bergerie basse, sans air, remplie de fumier… là-dedans, les agneaux étouffaient ; beaucoup mouraient[2]. Au métayer j’ai

  1. Partie morte du feuillage du sapin ; elle tombe chaque année, et forme une sorte de paillis très-menue, qui peut, à la rigueur, servir de chauffage.
  2. Par un malheureux préjugé, et pour augmenter la masse du fumier dans plusieurs métairies, les agneaux et autres bestiaux sont encore, jour et nuit, rigoureusement enfermés dans des bergeries infectes où l’air viable manque presque complètement ; de là de fréquentes maladies des organes re-