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pathie sincère, car l’influence, quelque peu surnaturelle, qu’on lui accordait, ne se manifestait jamais que par des services rendus ; la pauvre petite gardeuse de dindons trouvait moyen, dans son infime position, d’être serviable à beaucoup et avenante à tous.

À son entrée dans la cour de la métairie, Bruyère était, non suivie, non précédée, mais entourée de son nombreux troupeau, au plumage noir et lustré, à la tête écarlate. Deux coqs-d’Inde énormes, portant orgueilleusement leur crête et leur jabot d’un pourpre éclatant, nuancé d’un vif azur, se rengorgeaient d’un air formidable, faisant comme on dit la roue, hérissant leur plumage et arrondissant leur queue, magnifique éventail d’ébène glacé de vert sombre. Tous deux ne quittaient pas d’une minute, l’un la droite, l’autre la gauche de Bruyère ; tantôt ils la regardaient de leur œil rouge et hardi, tantôt ils gloussaient d’une voix si triomphante, si insolente, si provocante, qu’ils semblaient défier, bêtes ou gens, de s’approcher, malgré eux, de leur conductrice.

À la vue de ces deux monstrueux oiseaux, de trois pieds de hauteur, de cinq pieds d’envergure, à l’aile vigoureuse, au bec acéré, aux éperons aigus, on concevait assez que M. Beaucadet, malgré sa vaillance, devait avoir été quelque peu embarrassé de se défendre à coups de fourreau de sabre contre de si rudes assaillants.

À un signe de Bruyère tout ce volatile s’arrêta en gloussant de joie devant la porte d’un perchoir, dont la jeune fille ouvrit seulement l’étroit guichet, afin de pouvoir compter son troupeau ; il passa ainsi un à un