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de leur ombre ces longues nuits d’hiver ainsi passées dans une métairie solitaire, ou les chaudes nuits d’été, alors qu’au temps de la moisson les granges regorgent de moissonneurs et de moissonneuses, gîtant pêle-mêle, femmes, hommes, filles, enfants, sur la même paille, pourquoi s’en étonner, ou plutôt,… de quel droit s’en étonner ?

Voici des créatures abandonnées, élevées sans plus de souci, sans plus de sollicitude que les animaux des champs, parquées entre elles sans distinction d’âge ou de sexe, comme des bêtes au retour du labour ou du pâturage, de quel droit leur demander d’autres mœurs que celles des bêtes ? de quel droit exiger l’inassouvissement de leurs ardeurs brutales, le respect de l’enfance et la dignité de soi ?

Aussi, combien de ces malheureux, livrés à eux-mêmes et aux funestes traditions de cette existence de misère et d’abrutissement, déshérités de tout ce qui cultive l’esprit, épure le cœur et agrandit l’âme, vivent comme ils le peuvent, et forcément dans la fange où on les laisse croupir.

« Mais, — diront les optimistes et les repus, la pire espèce d’égoïstes, — cette race abrutie accepte son misérable sort, sans se plaindre ; souvent même elle se roule dans sa fange avec une joie, avec une sensualité grossière ; voyez ces prolétaires des campagnes : ils se contentent d’une insalubre et détestable nourriture, tandis que, chaque jour, ils récoltent, ils élèvent, ils engraissent, ils préparent sans envie les éléments de l’alimentation la plus saine, la plus succulente, la plus recherchée ?