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— Mais c’est un sort tout de même bien peinant au pauvre monde, — dit un des valets de ferme.

— Oh !… ça oui… et dur à tirer.

— Dam !… on tire… — dit la Robin. — Le sort, c’est le sort.

— Oh ! toi, la Robin, — reprit le charretier, — on te couperait en quatre que tu dirais : — Excusez… c’est de ma faute, je ne l’ai pas fait exprès.

— Mais puisque c’est le sort, — riposta la fille de ferme avec l’accent d’une conviction profonde, — et la preuve que ça l’est, c’est que c’est le nôtre, c’est que c’est le tien !

À cette triomphante explication de la fatalité de sa destinée, le charretier, assez empêché dans sa réponse, se gratta l’oreille, hocha la tête ; il n’était qu’à demi convaincu.

— Tiens, — reprit la Robin, — appelant les faits à l’appui de son raisonnement, — je vas te prouver ça clair comme l’œil. Ce soir, j’ai trait mes vaches, le lait est encore tout chaud ; ce matin, par ordre du maître, j’ai tordu le cou à six oies grasses, qui sont accrochées dans la laiterie, pour être portées demain au marché du bourg, avec six des dindes de la petite Bruyère, vingt livres de beurre… un demi-cent d’œufs, deux setiers du plus beau froment que le maître a récoltés, un brochet de quinze livres au moins et deux carpes, qui ensemble pèsent autant ; j’ai trouvé ce beau poisson, ce matin, aux lignes que maître Chervin avait tendues hier soir dans l’étang.

— Eh bien ! qu’est-ce que ça prouve pour le sort ? — dit le charretier tout ébaubi.