— Voilà…
— Eh bien ! t’amuses-tu beaucoup ici, toi ? — me dit le prince après une pause, — voyons, es-tu bien gai ?
— Et toi, mon vieux, t’amuses-tu ?
— Pardieu, — reprit le prince, — il faut bien que je m’amuse… puisque je suis ici.
— C’est pas une raison…
— Bah ?
— Tous les jours on va quelque part, et on s’y embête.
— Alors, pourquoi y aller ?
— Pourquoi est-ce qu’on se soûle ? Hein, mon vieux ? C’est pas pour le vin ou l’eau-de-vie, liquides à faire tousser le diable.
— Pourquoi boire, alors ?
— Eh, mille dieux ! pour s’étourdir, pour oublier… ce qui vous scie…
— Ah ! — me dit le prince avec un air de réflexion et de tristesse dont je fus frappé, — ah ! toi, c’est pour t’étourdir… pour oublier… que tu bois ?
— Pardieu ! je traîne le boulet toute la semaine… et le dimanche… quand je bois, je suis roi, comme dit la chanson, et puis… on peut te dire ça, à toi… mon vieux… un ami…
— Un ami ?
— Une connaissance… si tu veux.
— Ah ! tu me connais.
— Comme si je t’avais élevé au biberon.
Le prince haussa les épaules et reprit :
— Eh bien ! voyons… qu’est-ce que tu peux dire à… un ami… puisque je suis ton ami ?