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donner ? Celle du cul-de-jatte ? À quelles personnes m’adresserais-je pour répondre de moi ?

Je ne désespérai pas encore ; il faut s’être trouvé dans une position pareille à la mienne pour imaginer à quelles opiniâtres illusions l’on se livre jusqu’au moment où elles disparaissent devant la réalité ; ainsi, en sortant de chez le banquier, comme il faisait un assez beau temps, je me rendis aux Tuileries ; voici dans quel dessein :

— Je conçois, — m’étais-je dit, — que M. du Tertre veuille placer sûrement, honorablement ses bienfaits, et qu’avant de les accorder il temporise, afin de s’informer ; il ne fait peut-être pas assez la part des situations pressantes, désespérées comme la mienne, et certainement si j’avais pu parvenir jusqu’à lui, la sincérité de mon accent l’eût ému et convaincu ; je n’ai pu lui parler ; eh bien ! je parlerai à un autre ; je vais me rendre dans une promenade publique, ordinairement fréquentée par les personnes riches ; j’aviserai quelqu’un dont la figure m’inspirera de la confiance, je lui demanderai un moment d’entretien dans une allée ; je suis sûr de n’être pas repoussé.

Je voulais ainsi tenter sur des personnes riches ce que j’avais en vain tenté sur les pauvres travailleurs du port.

Arrivé aux Tuileries, je m’établis dans l’allée de tilleuls qui longe la rue de Rivoli ; bientôt je vis descendre d’une belle voiture un homme jeune encore, d’une physionomie douce et un peu triste. Il commenta de se promener lentement dans l’allée. Je le suivais pas à pas ; au premier tour, malgré mes résolutions, je n’osai