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Je me souvins seulement alors clairement de l’agression dont je venais d’être victime.

Il devait être tard ; le boulevard, couvert de neige, était absolument désert ; un fiacre pourtant stationnait à l’angle de la rue Poissonnière.

Au bout de quelques pas, je fus forcé de m’arrêter, en proie à un frisson convulsif… Mes dents claquaient l’une contre l’autre ; mes genoux tremblaient ; je ressentais à la tête et à la hanche droite surtout une douleur si cruelle, que je pouvais à peine me traîner.

Soudain le bruit des pas lointains et mesurés d’une patrouille me fit tressaillir d’effroi… Mes vêtements en lambeaux, mon visage ensanglanté, l’impossibilité où j’étais de justifier d’un asile, devaient me faire arrêter comme vagabond, si j’étais rencontré par ces soldats…

Je voulus fuir ;… mais, vaincu par la souffrance, à chaque pas je trébuchais…

Le bruit sonore de la marche de la patrouille se rapprochait de plus en plus… déjà je voyais luire au loin dans la pénombre de la contre-allée les fusils des soldats… je fis un dernier effort… il fut vain… je glissai sur la neige et je tombai à genoux.

— Mon Dieu !… mon Dieu !… ― m’écriai-je.

Et je fondis en larmes, car je n’avais pas la force de me relever.

Tout-à-coup un homme, sortant de derrière un des arbres du boulevard, me saisit sous les bras, et me souleva de terre en me disant :

— Voilà une patrouille… on va t’arrêter.

Je reconnus le cul-de-jatte ; il me guettait sans doute depuis la scène de violence qu’il avait provoquée.