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veille. Au premier rang je remarquai un homme de haute taille, enveloppé d’une longue redingote blanchâtre ; le bas de sa figure disparaissait sous un cache-nez, sorte de grande écharpe en laine rouge. Il portait des lunettes bleues, et sa casquette de voyage en fourrure et à oreillères achevait de dissimuler presque entièrement sa figure. Ce voyageur attirait surtout mon attention par l’empressement qu’il me paraissait mettre à prendre terre : deux fois il s’était précipitamment avancé vers le plat-bord du vapeur, et deux fois un des mariniers du bateau, le retenant, lui avait sans doute fait observer que le moment de débarquer n’était pas encore venu.

Ce voyageur portait un sac de nuit d’une main, et de l’autre un nécessaire de voyage ; enfin, pour être sans doute plus promptement descendu, il avait fait d’avance apporter sa malle de cuir sur le plat-bord.

Le signal du débarquement fut donné, j’avais jeté mon dévolu sur le voyageur en lunettes ; deux de mes concurrents voulurent passer avant moi ; mais, luttant de brutalité avec eux, je les repoussai violemment, d’un bond je fus auprès de mon voyageur, qui me dit d’une voix précipitée :

― Vite, vite… prends cette malle, ce nécessaire… je porterai le sac de nuit… Il y a des fiacres sur le quai.

La malle pesait peu. Dire avec quelle joie je la chargeai sur mon épaule serait impossible. On allait me donner quelques sous et j’achèterais du pain… Je pris de mon autre main le nécessaire par une poignée de