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effroyablement dégradée par ce monstre, que je perdis même jusqu’au remords de cette dégradation dernière… Mais aussi, à mesure que l’éducation développa mon intelligence, s’éveilla en moi un besoin, un désir de vengeance, qui grandit de jour en jour… et devint mon idée fixe… incessante. De ce moment, j’acceptai mon sort avec une joie sinistre… Et j’accomplis des prodiges de travail ; tout le temps dont je pouvais disposer, je l’employais à m’instruire, à acquérir autant qu’il était en moi ces talents aimables, ces manières distinguées, séduisantes, qui donnent aux femmes une grande puissance. Le milord-duc, par un raffinement de corruption diabolique, favorisait mes goûts d’étude. Il fit venir pour moi, et moyennant un prix excessif, un excellent professeur de chant et de composition, qui avait, pour ainsi dire, créé les artistes les plus remarquables de cette époque, et dont les œuvres sont maintenant populaires. Mais, à propos de cet artiste, — ajouta Basquine en souriant doucement, — apprends, mon bon Martin, un trait qui t’épanouira le cœur, qui te reposera un moment de toutes les sinistres choses qu’il me faut te conter… Aux yeux de l’artiste dont je te parle, excellent et digne homme s’il en fut, je passais pour la fille adoptive du duc, car je serais morte de honte si mon professeur avait pu supposer ce que j’étais alors… Ce dernier admirait d’autant plus l’apparente sollicitude dont j’étais entourée, qu’il devait lui-même, me disait-il, sa carrière à un être aussi généreux que mystérieux. — « J’étais possédé du feu sacré, — me disait l’artiste, — mais pauvre, inconnu, sans ressources ; les moyens d’étudier me manquaient, car