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en un mot, ce singulier personnage était vêtu comme un petit garçon de mon âge… Pour compléter l’illusion sans doute, il soufflait de toutes ses forces dans une petite trompette de fer blanc. Ce fut ainsi qu’il fit le tour de la rotonde, en cavalcadant sur son cheval de buis.

— Heureusement c’était un fou ! — m’écriai-je en respirant après un moment d’horrible angoisse.

— Un fou ? — dit Basquine, en me regardant ; — puis elle ajouta, en échangeant un regard avec Bamboche, — oui, mon bon Martin… c’était un fou…

Et après un instant de silence, Basquine reprit :

— Milord-duc, car c’était lui, se laissait en effet aller parfois à des… manies qui touchaient à la folie. Ma première impression, à la vue de ce vieillard, grotesquement vêtu en enfant de dix ans et jouant comme un enfant de cet âge, fut d’éclater de rire… Mais ce rire n’ayant aucun écho dans cette profonde et sinistre solitude, car milord-duc ayant cessé sa cavalcade, était descendu de cheval, et, muet, impassible, me couvait de ses petits yeux bleus clairs, qui luisaient au milieu de sa figure d’un rouge de sang, l’épouvante me gagna de nouveau et atteignit bientôt à son comble, car ce qui m’avait d’abord paru si bouffon me semblait alors de plus en plus effrayant, je me mis à pleurer et à pousser des cris aigus.

— Et cela était effrayant, en effet, — dis-je à Basquine, — il me semble faire un rêve horrible…

— Il fallut, — reprit-elle, — les paroles affectueuses, paternelles du milord-duc (il parlait très-bien français) pour me calmer et me remettre en confiance…