Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Cela est passé, — dit Bamboche d’un air navré, — cela est passé… comme ton amour pour moi…

— L’amour !!! — dit Basquine en haussant les épaules, et ses traits reprirent cette expression d’ironie glaciale dont j’avais été si frappé dans son rôle du mauvais génie, — tu vois Martin… il me parle d’amour… à mon âge… mais mes pauvres enfants… j’ai commencé si jeune… que maintenant… pour l’amour… j’ai cinquante ans

Il y eut entre nous trois un moment de pénible silence… Malgré son rude cynisme, Bamboche restait atterré, comme moi, de voir cette jeune fille, ce trésor de beauté, de grâce, d’intelligence et de génie déjà et à jamais flétrie dans ce qui fait rayonner ou ambitionner la beauté, la grâce, l’intelligence et le génie…

— Rassurez-vous, — nous dit Basquine en nous prenant la main, à Bamboche et à moi, — dans ce cœur que toutes les misères humaines ont fait saigner jusqu’à ce qu’il fût desséché ; dans ce cœur où l’amour a été tué par une dégradation précoce, il restera toujours, comme disait autrefois Bamboche, un petit coin de tendre amitié pour vous deux… Mais nous oublions que Martin doit être impatient de savoir ce qui nous est arrivé à tous deux…

— Ah ! mes amis, — leur dis-je, — combien de fois j’ai été préoccupé de ces pensées : où sont-ils ? que deviennent-ils ? et surtout par quel sinistre événement ont-ils disparu, le soir du jour où j’ai été arrêté après le vol commis chez Claude Gérard ? Car jugez de mon désespoir, mes amis, lorsque arrivé au rendez-vous que nous nous étions donné en cas de poursuite… vous savez…