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— Attends avant de me répondre… Tu seras logé, nourri, blanchi, chauffé, éclairé, habillé, chaussé, ciré, coiffé… et estimé !.. Tu auras cinquante francs de gages par mois… ils se capitaliseront et te seront payés… tous les ans… avec les intérêts… or, tu n’as pas d’idée, Martin, de ce que c’est que la capitalisation des intérêts… et des intérêts des intérêts… En cinquante ans, avec tes seuls gages ainsi capitalisés tu seras archimillionnaire. Cela te convient-il ?

Je ne pouvais échapper à la fatalité des millions… Vingt-trois fois riche comme Jacques Laffitte… archimillionnaire avec cinquante ans de gages capitalisés… c’était pour moi immanquable… Ce que je vis de plus clair dans la proposition de Balthazar, ce fut que l’excellent homme, se trouvant alors fort empêché pour me payer mes commissions, trouvait plus court et plus facile de me prendre pour domestique.

Avant l’arrivée du comte Robert de Mareuil j’aurais refusé l’offre du poète, et en attendant le retour de la belle saison, époque à laquelle j’espérais trouver du travail comme charpentier, j’aurais changé de rue afin de n’être pas tenté de me charger de nouveau et sans salaire des commissions de Balthazar, car, malgré sa folle exaltation, son cœur était si bon, son caractère si généreux, que je l’aimais beaucoup ; mais la présence de Robert de Mareuil, un vague sentiment de crainte au sujet de Régina, m’engagèrent à accepter, momentanément du moins, cette proposition ; si faible que fût ce lien qui allait me rattacher à l’existence de Régina, je le saisis, espérant pouvoir peut-être lui rendre quelque service à son insu, et continuer cette mission de dévoû-