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ces têtes naguères couvertes d’ondoyantes chevelures que la Levrasse moissonnait avec ses énormes ciseaux, et qu’il me faisait ensuite soigneusement nouer en écheveaux avec des rubans de fil.

Le marché était sans doute excellent, car la figure sardonique de la Levrasse rayonnait de joie, et ses plaisanteries méchantes ne tarissaient pas.

— Au lieu d’être tristes, réjouissez-vous donc, mes poulettes, — disait-il en faisant grincer les ciseaux sur ces têtes penchées qu’il dépouillait. — Ces cheveux, qui ne vous servaient à rien du tout, vont avoir l’honneur de faire l’ornement de la tête de grandes dames d’un certain âge, qui portent des tours ou des perruques… Ils seront ornés de turbans d’étoffe d’or et d’argent, de pierreries magnifiques, de superbes diamants… vos cheveux ! tandis que, sur votre tête, ils auraient été toujours couverts de vos coiffes crasseuses… Et puis, vous qui criez toujours misère, vous pourrez au moins dire qu’une partie de vous-même ira en voiture, dans les plus belles fêtes de la capitale… ce qui est joliment flatteur… je m’en vante, et pourtant… vous ne payez rien pour ça… au contraire… c’est moi qui vous paie… Tenez, mes poulettes, je suis si bon, que j’en suis bête… aussi, je vous le déclare, à l’avenir… je ne paierai rien… on me donnera ses cheveux… pour l’honneur…

Les cruels lazzis de la Levrasse furent interrompus par la belle jeune fille dont j’ai parlé.

Elle s’avança près de la fenêtre, s’assit timidement sur le bout du banc, ôta sa petite coiffe, et courba la tête sans prononcer une parole.