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goisses de l’attente ; puis un mouvement machinal, presque spontané, inclina davantage encore ces têtes échevelées.

— Que diable voulez-vous que je fasse de ce que vous m’offrez là ? Je ne suis pas marchand de crin et de filasse, — ajouta mon bourgeois avec cette brutale férocité du trafiquant qui veut, avant tout, déprécier ce qu’il désire acheter.

— Allons, mes poulettes — reprit-il — remettez vos coiffes… il n’y a pour moi rien à faire ici… C’était bien la peine… de perdre mon temps.

Pendant cette scène dont je ne sentais pas alors toute la dégradante cruauté, mais qui me serrait le cœur, j’avais vu la femme au béguin blanc, jusqu’alors cachée dans l’obscurité projetée par la haute cheminée, sortir de ce recoin et se diriger à pas lents vers la porte, mettre sa main sur le pêne de la serrure, puis s’arrêtant soudain… baisser la tête avec accablement, comme si elle eût hésité à sortir.

J’ai rarement rencontré des traits plus réguliers, plus doux que ceux de cette jeune fille ; elle paraissait avoir au plus dix-sept ans ; un mauvais fichu de cotonnade rouge cachait à peine son cou et ses épaules ; sa jupe, rapiécée en vingt endroits avec des morceaux d’étoffe de couleurs différentes, était soutenue par des bretelles en lisière. Il fallait que sa beauté fût bien grande pour être aussi remarquable malgré l’extrême maigreur de son pâle visage, où se voyait encore la trace de larmes récentes.

Après être restée quelques secondes à la porte, la main toujours posée sur le loquet de la serrure, la jeune