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basse de l’auberge ; là, pour la première fois, je vis la Levrasse pratiquer l’un de ses étranges commerces.

Assis sur une chaise, je tenais mon bras en écharpe, lorsque je vis entrer dix ou douze femmes, presque toutes jeunes ; deux ou trois étaient assez jolies, mais la pauvreté sordide de leurs haillons annonçait le plus grand dénuement ; leurs visages exprimaient la tristesse et surtout la confusion, comme si elles eussent ressenti une sorte de honte en faisant à la misère ce dernier sacrifice.

Bien des années se sont passées, et pourtant cette scène m’est encore présente dans ses moindres détails.

Un jour sombre, pénétrant difficilement à travers les carreaux verdâtres de deux fenêtres dites à guillotine, obstruées par des toiles d’araignées, éclairait à peine cette grande pièce d’auberge, au plafond bas et rayé de solives noirâtres, aux murailles jadis blanchies à la chaux ; deux tisons fumaient dans l’âtre au milieu d’un monceau de cendres.

Les pratiques de la Levrasse, comme il disait, l’attendaient, celles-ci assises sur un banc, les autres sur le bord d’une longue table ou sur des escabeaux. L’une de ces pauvres créatures restait à l’écart, à demi cachée dans l’ombre projetée par la saillie de la haute cheminée ; je distinguais à peine dans l’obscurité sa coiffe blanche, un bout de jupe en lambeaux et ses pieds nus.

Toutes ces femmes semblaient inquiètes de savoir si leur chevelure conviendrait à la Levrasse ; à quelques paroles échangées entre elles, je compris qu’elles ressentaient aussi beaucoup de honte d’être les seules du