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donc moralement convaincu ; néanmoins, j’allais toujours devant moi. Ayant à ma gauche ma bonne petite Seine toute prête, toujours prête… là… à ma disposition, je ressentais une espèce de calme, seulement interrompu çà et là par les ardeurs et les défaillances d’une faim de chakal.

» J’avais ainsi gagné les Champs-Élysées ; un bruit de clairons et de cymbales attira malgré moi mon attention ; je tournai la tête, je vis plusieurs théâtres de bateleurs en plein vent.

» Sur l’estrade élevée devant l’un de ces théâtres, un paillasse et son maître faisaient la parade, engageant la foule à entrer dans l’enceinte de toile, surmontée d’un tableau représentant un géant, ouvrant une bouche énorme, dans laquelle deux hommes armés de fourchettes longues comme des fourches, jetaient une infinité de dindons rôtis, de saucissons, de pâtés.

Au-dessous du tableau on lisait en grandes lettres :


L’OGRE VIVANT.
Il mange devant l’honorable Société dix livres de viande, un pâté de cinq livres, un fromage de Hollande et un pain de six livres !!!


» La curiosité publique était vivement excité, la foule se pressait autour des tréteaux, où l’on annonçait l’exhibition de l’ogre ; les deux autres théâtres restaient déserts, et les bateleurs rivaux contemplaient d’un œil de tristesse et d’envie la bonne fortune de leur voisin l’ogre.

» — Quel bel état !… et facile… et commode…