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elle était calme, limpide et miroitait au soleil le plus coquettement du monde… C’était tentant… Néanmoins je poursuivis ma route vers les Champs-Élysées.

» Bientôt j’entendis au loin tinter la cloche d’une église ; je n’avais jamais été dévot ; mais ce bruit mélancolique, en me rappelant ce que je savais de la morale du christianisme, m’en montra aussi la vanité… à l’endroit de ma condition présente…

» Cette morale, comme la morale des sages de l’antiquité, prêchait le mépris des richesses, la résignation, l’espoir d’une vie meilleure, glorifiait et recommandait, il est vrai, la fraternité humaine, disant aux hommes : — Soyez frères… aimez-vous les uns les autres !… — Hélas !… je ne demandais qu’à être regardé et aimé par quelqu’un comme un frère… qui m’eût dit : — Tu n’as pas d’asile ? tiens… voilà un abri. — Tu as faim ? tiens… mange. — Mais où le trouver, ce frère en Jésus-Christ ? La charité dépend de celui qui peut la faire, et non de celui qui l’implore ; c’est toujours la fameuse maxime du civet, il faut d’abord avoir un lièvre.

» En cela, du moins, la doctrine du suicide me semblait supérieure ; c’était immédiatement pratique, c’était facile et à la portée de tous ; ce n’était pas de ces principes dont la réalisation dépend absolument du bon vouloir ou de la charité d’un tiers, votre délivrance dépendait uniquement, absolument de vous… c’était un moment à passer… et puis… une autre vie. Et, ma foi, quelle qu’elle fût, elle ne pouvait guère être plus misérable que celle que je voulais quitter ; j’étais