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que j’aurais trouvé quelque chose à porter, et que j’aurais été assez fort pour porter ce quelque chose.

» Il faut le dire encore : une des conséquences d’une éducation semblable est de rendre celui qui l’a reçue, incapable d’un travail manuel, soit qu’un sot orgueil l’en éloigne, soit que l’impuissance physique l’en empêche, soit enfin qu’une pensée pareille, travailler de ses mains, ne puisse jamais venir à l’esprit, tant elle est exorbitante, tant elle est en dehors de la sphère où l’on a été accoutumé de vivre.

» Vous le sentez bien, mon cher Martin, je ne brillais pas par ma connaissance du monde. Je n’avais jamais quitté la loge de mon père ou la classe de M. Raymond que pour aller au collège, et durant le trajet de la pension à Louis-le-Grand, je jetais à peine les yeux autour de moi, toujours absorbé par mes leçons de la veille ou du lendemain, et très-peu curieux des incidents de la rue. Aussi étranger à la vie et aux mœurs de Paris que le provincial le plus renforcé, jugez de mon embarras, en me trouvant seul dans le quartier latin, obligé de chercher un logement et de pourvoir à tous mes besoins.

» Un complaisant épicier, auquel je m’adressai, m’indiqua un modeste hôtel garni de la rue de la Harpe, où je m’établis. Ne sachant où cacher mon trésor, mes 720 fr., pour qu’ils ne me fussent pas volés, j’eus l’assez heureuse idée de les déposer entre les mains de l’hôtelier, qui se chargea volontiers du dépôt.

» Touché de cet acte de condescendance de sa part, je me sentis aussitôt porté envers lui à une extrême