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ses pensums, il y en avait une montagne. Je m’éveillai en demandant qu’on lui fît grâce… et qu’on l’abandonnât à ses remords vengeurs… le malheureux !

» Mais il est des natures indomptables. Ce cancre devait mettre le comble à ses forfaits, en fumant de l’anis dans une pipe et en donnant (c’est à n’y pas croire) un grandissime coup de pied dans le ventre à M. le censeur qui lui avait cassé la dite pipe entre les dents…

» Le cancre fut solennellement chassé du collège, et aux malédictions terribles, aux effrayants pronostics dont il fut accablé en quittant la classe, je le crus fatalement voué à finir sur l’échafaud.

» Plus tard, j’ai vu le nom du cancre (vous connaissez le personnage, mon cher Martin, puisque vous avez été son domestique) ; plus tard, dis-je, j’ai vu le nom du cancre rayonner en lettres rouges, longues d’un pied, derrière le vitrage de tous les cabinets de lecture. Il est devenu l’un de nos poètes les plus célèbres… Et moi, cheu miser ! (hélas misérable !) en qui S. Ex. Mgr. le ministre de l’instruction publique voyait une des gloires futures de la France, je me suis vu un jour forcé d’abdiquer ma dignité pour devenir homme-poisson…

» Mais aussi une fois hors de la vie des humanités, j’ai, en expérimentant la vie humaine, appris à exprimer à-peu-près mes idées et je peux, à cette heure, vous écrire une lettre comme celle-ci, mon cher Martin, chose qui m’eût été absolument interdite au temps de mes plus beaux triomphes scolaires.