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tendu domicile de Bamboche, s’effaçait un peu ; je ne trouvais pas d’un mauvais pronostic pour mon ami d’enfance qu’il fréquentât un cabaret hanté par d’honnêtes artisans.

M’attablant dans un coin isolé, bien en face de la porte, afin d’apercevoir Bamboche dès son arrivée, je demandai une petite portion de viande, du pain et de l’eau. Je regardai la pendule du cabaret, elle marquait neuf heures… J’avais encore, au pis-aller, deux ou trois heures à attendre.

Je commençai mon frugal repas, attachant mon regard inquiet sur la porte du cabaret, dès qu’elle s’ouvrait, épiant et, comme on dit vulgairement, dévisageant tous ceux qui entraient, certain d’ailleurs de reconnaître Bamboche, malgré les années passées depuis notre séparation, car ses traits énergiques et accentués étaient trop profondément gravés dans ma mémoire pour les méconnaître.

Tandis que j’avais ainsi les yeux fixés sur la porte chaque fois qu’elle s’ouvrait, je vis entrer un jeune homme qui pouvait avoir vingt-cinq ans au plus ; sa taille était svelte. Sa figure me frappa tout d’abord par la régularité, par la rare et mâle beauté de ses traits, cependant un peu fatigués ; il était pâle, son visage paraissait d’une blancheur d’autant plus mate que ses sourcils et ses favoris, assez longs, étaient très-bruns, et que le vieux paletot noirâtre que portait cet homme, boutonné jusqu’au cou, ne laissait voir ni col de chemise, ni cravate. La chaussure, le pantalon de ce personnage étaient souillé de boue, et il portait une casquette toute déformée.