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immobile et sereine sur son piédestal… Oui, je trouve cela superbe… foi de Bamboche, c’est un spectacle que j’aime… Seulement, comme je suis de chair et non de marbre, je n’essaie pas de me faire statue… et je me dis : — Va, roule ta bosse dans l’ouragan… mon vieux, — ajouta-t-il en terminant par cette plaisanterie grossière.

— Malgré cette dernière grossièreté, la première image était grande ! — m’écriai-je ; — quel développement a donc pris l’esprit de Bamboche ?…

— Oui, — me dit gravement Claude Gérard, — cette image est grande, mais elle est fausse. L’homme fort, quoique fait de chair, peut devenir de marbre pour résister à l’ouragan des mauvaises passions. Néanmoins, je fus frappé comme toi de ce singulier langage, tour à tour trivial, cynique et élevé… Comme toi je me demandais à quelle école cet enfant perdu pouvait avoir acquis ces raffinements de pensée qui çà et là se remarquaient dans son langage…

Mais Bamboche, après un moment de silence, reprit d’une voix émue :

— Allons, adieu, Monsieur ; peut-être vaut-il mieux pour Martin que je ne le voie pas… je m’entends. Embrassez-le donc pour moi… mais là… de tout cœur… Ah ! vous êtes bien heureux… vous !… — ajouta-t-il en portant brusquement la main à ses yeux. — Dites-lui que je l’aime ni plus ni moins qu’il y a huit ans… et que je n’y comprends rien. Car, tonnerre de Dieu ! je n’étais pas tendre, et je suis devenu diablement coriace. Ça ne fait rien… pour lui je n’ai pas changé… dites-lui ça… et que, quand il le voudra, je suis à lui, tête et cœur,