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Cette figure, d’une laideur surtout ridicule, était empreinte de tant de bonhomie et de timidité, qu’au lieu d’avoir envie de rire à la vue de notre nouveau commensal, je le regardai avec une sorte d’intérêt.

ego et animal sum et homo, non tamen duos esse nos dices[1]). (Je suis en même temps animal et homme, sans qu’on puisse dire que je sois deux.)

Telle fut la citation latine dont l’homme-poisson, Léonidas Requin, nous salua en sortant de sa prétendue piscine.

Il est inutile de dire qu’à cette époque de ma vie, je ne distinguai pas même les mots prononcés par Léonidas : j’entendis seulement des sons incompréhensibles pour moi ; mais ayant plus tard, dans le courant de mon aventureuse carrière, rencontré çà et là Léonidas Requin, subissant toujours des conditions non moins diverses qu’étranges, nous nous sommes si souvent rappelé notre première entrevue chez la Levrasse, que j’ai su alors ce que signifiait cette citation empruntée à Sénèque, l’auteur favori de l’homme-poisson, qui devait pratiquer plus que personne la stoïque philosophie de son maître.

Je trouve parmi quelques papiers un fragment de lettre que Léonidas Requin m’écrivait, quinze années plus tard. Malgré l’infime position où je me trouvais alors, j’avais espéré pouvoir assurer à mon ancien compagnon une position plus heureuse et plus convenable.

Dans cette lettre, destinée à être communiquée à un tiers, Léonidas abordait avec la plus naïve franchise les

  1. Lettres de Sénèque, CXIII. — si les vertus sont des animaux ? Absurdités de ces questions.