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imprévu dut un instant avoir une si grande influence sur ma destinée.

Cette bande de paysans armés de fusils, de faux, de fourches, précédée d’un tambour, et, chose assez étrange, du serpent de l’une des paroisses, avait un aspect funeste et redoutable. Elle fit halte sur la grande place de notre village ; un roulement fut battu, les chefs appelèrent aux armes tous les bons enfants pour aller retourner le château de Saint-Étienne.

Bientôt prévenu de cet événement, Claude Gérard sortit de chez lui, et causa longuement avec les meneurs de cette bande, pendant que le maire et le curé fuyaient éperdus. Après cette conférence, l’instituteur promit de lever en une heure une vingtaine de garçons résolus, et de marcher à leur tête contre le château.

En effet, une demi-heure après, vingt-cinq jeunes gens de notre paroisse, armés tant bien que mal, se joignaient à la première bande sous la conduite de Claude Gérard, qui demanda comme faveur de former l’avant-garde.

Durant le trajet du village au château, ceux dont nous étions les auxiliaires, s’exaltant par leurs cris, par leurs chants, s’abattirent sur une maison isolée, y défoncèrent deux ou trois barils de vin, et l’ivresse vint se joindre à tant d’autres excitations mauvaises.

Notre troupe, loin de participer à cette orgie, profita de ce désordre et de ce retard pour marcher rapidement vers le château, sans que le restant de la colonne s’en inquiétât le moins du monde ; nous faisions après tout notre métier d’avant-garde.