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Un pressentiment me dit que l’homme dont la figure sinistre m’avait frappé dans la matinée, et qui fumait cyniquement sa pipe en regardant les funérailles, violait en ce moment cette tombe… car j’entendis bientôt une sorte de piétinement suivi de plusieurs coups, bruits sourds qui semblaient sortir des entrailles de la terre… Soudain une main invisible lança la pioche sur le revers de la fosse, puis je vis paraître la tête, et ensuite le buste d’un homme… il s’aidait de ses mains pour sortir de l’ouverture béante, et il venait sans doute d’abandonner sa pipe, car il tenait entre ses dents un paquet qui semblait assez lourd…

Je reconnus l’homme que j’avais vu le matin.

Caché par le tronc du cyprès et par l’ombre qu’il projetait, je ne pouvais être aperçu de ce misérable… Je restai immobile, ne sachant que faire, craignant d’être découvert, et attendant des circonstances mes seules inspirations.

Cet homme, que j’appellerai désormais le cul-de-jatte (je dirai tout-à-l’heure comment j’acquis la conviction que tel était ce personnage), cet homme, l’exécrable instituteur de Bamboche, étant sorti tout entier de la fosse, redressa un moment sa haute et robuste taille, fatigué sans doute de s’être tenu si long-temps courbé. Prenant alors à la main le paquet que j’avais remarqué, il jeta les yeux de côté et d’autre, avisa le cyprès derrière lequel j’étais blotti, et s’en approcha.

Je retins ma respiration ; me ramassant sur moi-même, je me fis aussi petit que possible, afin de rester inaperçu dans l’ombre et derrière l’abri qui me cachait.