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amères, plus haineuses que par le passé ; les refus, les mépris que nous avions essuyés, légitimaient à nos yeux notre funeste résolution dans le mal.

Nous étions gais, railleurs, insolents ; chemin faisant, et allant droit devant nous, mais tournant seulement les grandes villes, où la police est plus vigilante, nous mendiions dans les villages, ou bien nous chantions dans les cabarets, dérobant çà et là ce que nous pouvions, tantôt du linge sur les haies, où on le laissait au sec, tantôt faisant main-basse sur les volailles égarées, etc., etc., et vendant pour quelques sous nos larcins, comme choses trouvées, et manquant rarement d’acheteurs sur les grandes routes ; couchant quelquefois dans une grange ou dans une écurie que l’on nous ouvrait par charité, nous passions d’autres nuits dans l’intérieur des meules de blé, où nous nous pratiquions un abri, car à l’automne avait succédé l’hiver.

Jamais je n’ai connu les émotions du jeu ; mais Bamboche qui, plus tard, put disposer, par des moyens sinon criminels, du moins peu scrupuleux, de sommes considérables qu’il joua, perdant ou gagnant tour-à-tour, m’a dit, et je l’ai compris, que rien ne ressemblait davantage aux émotions du jeu que les continuelles alternatives de crainte et d’espoir, de frayeur et de joie, d’abondance et de privation, qui caractérisaient chaque jour de notre vagabondage.

Où coucherions-nous le soir ? l’aumône serait-elle abondante ? les occasions de larcin favorables ? la recette des chansons de Basquine fructueuse ? Et si l’occasion de dérober se rencontrait, serions-nous pris ? Aussi, en dérobant, quelle anxiété, quelle terreur ! Et après