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sans l’exemple, sans l’enseignement des précoces amours de Bamboche, la rare beauté de cette enfant ne m’eût pas sans doute causé cette admiration mêlée de trouble, admiration qui s’augmenta bientôt d’une profonde sympathie ; car Régina me parut aussi discrète, aussi réservée que le vicomte était volontaire ou capricieux ; deux ou trois fois même elle lui résista avec un air de dignité enfantine ou de fine moquerie qui me charma.

Robert, l’autre garçon, à-peu-près de la taille de Bamboche, mais beaucoup plus frêle, avait une très-jolie figure ; il faisait un peu le petit Monsieur, et avait fréquemment des à-parte à voix basse avec Régina.

Malgré moi, cette intimité m’irritait, non moins que les prévenances dont ce même Robert avait entouré Régina pendant la collation, avec une courtoisie remarquable pour son âge ; il était vêtu, comme Scipion, d’une veste ronde, d’un pantalon clair, et sa chemise se terminait par une collerette plissée, autour de laquelle se nouait une petite cravate de satin.

Je m’appesantis sur ces détails,… d’abord, parce qu’ils se sont tellement fixés dans ma mémoire que, bien des années après, je reconnus à la première vue ces personnages que je n’avais pas rencontrés depuis cette scène de mon jeune âge, et ensuite parce que la tournure si élégante de ces heureux enfants devait bientôt offrir un étrange contraste avec nos haillons, les ronces de la forêt ayant singulièrement dépenaillé ma blouse et celle de Bamboche, ainsi que la mauvaise robe de Basquine ; car, une fois dépouillés de nos brillants costumes acrobatiques, nous étions d’habitude horriblement mal vêtus.