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déposèrent une succulente collation. L’argenterie et les cristaux étincelaient aux rayons du soleil à demi brisés par les branches des grands chênes qui ombraient le carrefour.

Bamboche, Basquine et moi, blottis dans notre taillis, serrés les uns contre les autres, immobiles et retenant notre respiration, nous contemplions ce luxe éblouissant, si nouveau pour nous, avec un silencieux ébahissement, échangeant de temps à autre quelques coups de coude très-significatifs à chacune des excellentes choses que nous voyions servir dans des plats d’argent. Car depuis la veille nous étions à jeun ; il pouvait être alors trois ou quatre heures ; la vue de ces mets appétissants irritait encore notre faim, tandis qu’à notre grande surprise ces heureux enfants mangeaient à peine du bout des lèvres.

Le vicomte Scipion avait derrière lui un des deux grands domestiques galonnés, qui le servait avec une respectueuse obséquiosité, tâchant, ainsi que la gouvernante, de prévenir les moindres désirs de cet enfant.

M. le vicomte venait de toucher à peine à une tranche de je ne sais quel pâté qui excitait particulièrement ma convoitise, lorsque, prenant son verre rempli d’eau et de vin, il en versa le contenu dans le pâté en riant aux éclats.

— Mais, Scipion, pourquoi gâter ce pâté ? — dit la gouvernante.

— Je n’en veux plus, — dit le vicomte.

— Mais j’en aurais mangé, moi, — s’écria Robert.