Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tion se poursuivit sans autre encombre et se termina par l’exhibition de l’homme-poisson.

Léonidas Requin fit noblement les choses : il mangea une belle anguille vivante, un brochet de deux livres et une douzaine de goujons tout frétillants, après avoir fait merveille dans sa piscine, grâce à ses belles nageoires bleues à ressort, qui, artistement soudées à un corselet d’écaille de fer-blanc, et vues de loin à la lumière fumeuse de nos quinquets, produisaient une illusion suffisante. Léonidas avait, de plus, la tête couverte d’un serre-tête de taffetas gommé bleuâtre, sur les côtés duquel étaient ingénieusement adaptées des ouïes en toile cirée, ce qui lui donnait la plus étrange physionomie du monde.

Un seul incident faillit compromettre cette heureuse illusion ; mais heureusement, depuis un précédent pareil, l’homme-poisson se tenait prêt et sur ses gardes.

Léonidas Requin venait, à l’applaudissement général, d’avaler son dernier goujon cru, et semblait témoigner sa joie d’être repu si bien à son goût, en frétillant d’aise dans sa piscine, jouant des nageoires comme un oiseau qui bat des ailes, lorsqu’un spectateur aussi indiscret que sceptique se leva, et dit à voix haute :

— Je donne dix sous pour aller examiner de près les nageoires de Monsieur !

Cette dangereuse manifestation d’incrédulité trouva malheureusement de l’écho, et bon nombre de spectateurs ajoutèrent en se levant :

— Nous aussi… nous aussi… nous donnons dix sous pour approcher de la baignoire.