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rentes reprises il rapporta de nombreuses chevelures de toutes couleurs, car il continuait son commerce, trafiquant des cheveux des filles indigentes.

Mon affection pour Bamboche allait toujours croissant, par cela même qu’insolent et méchant avec tous, il se montrait pour moi bon et affectueux… à sa manière ; il avait été témoin des souffrances que m’avait surtout causées la promenade turque, mais, à ma grande surprise, il ne m’avait ni consolé, ni plaint ; pendant plusieurs jours il me parut distrait, préoccupé, je le vis souvent se diriger vers un grenier inoccupé, où il faisait de longues séances ; il me cachait un secret ; par fierté, je ne voulus pas aller au-devant de sa confiance.

Un jour je sortais, rompu, hébété par ma leçon ; la promenade turque s’étant beaucoup prolongée, je souffrais cruellement d’une enflure au poignet, car j’étais retombé une fois à faux, et la mère Major m’avait châtié de ma maladresse ; je trouvai Bamboche rayonnant ; mais, apprenant ma double mésaventure, sa figure s’assombrit, il s’emporta contre la mère Major en imprécations, examina ma main avec une sollicitude fraternelle, puis, me regardant tristement, il me dit d’une voix émue :

— Heureusement c’est la dernière fois que tu seras battu !

— La dernière fois ? — lui dis-je tout étonné.

— Demain tu ne seras plus ici, — me répondit-il après un moment de silence.

— Je ne serai plus ici ? — m’écriai-je.

— Écoute : hier j’ai entendu la Levrasse parler avec la mère Major ; demain l’homme-poisson arrive ; je