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mais non par amour de te faire du mal, puisque je m’en fais à moi-même dix fois plus qu’à toi.

Entre autres preuves à l’appui de ce raisonnement insensé, dont il ne démordait pas, j’ai vu Bamboche se planter froidement, à une profondeur de cinq à six lignes, une épingle entre l’ongle et la chair… Malgré le ressentiment d’une douleur atroce sa physionomie ne trahissait pas la moindre souffrance, et il disait, avec une exaltation de tendresse sauvage :

— Je t’ai battu, Basquine, mais je t’adore.

Et Basquine, se jetant à son cou, lui demandait pour ainsi dire pardon d’avoir été battue.

Malheureusement l’influence de Bamboche sur Basquine ne se bornait pas à lui faire oublier, par cette espèce de stoïcisme farouche, les brutalités auxquelles il se laissait quelquefois emporter contre elle. Le venin des mauvais exemples est si subtil, se communique et se propage avec une si effrayante rapidité, que la contagion des exécrables principes du cul-de-jatte, le mendiant vagabond, avaient déjà infecté trois victimes… d’abord Bamboche, puis moi, et ensuite Basquine.

À force d’entendre répéter par Bamboche que les gens laborieux et honnêtes étaient les sots martyrs de leurs labeurs et de leur honnêteté (Bamboche n’avait pas manqué de citer à Basquine l’exemple de son père à elle) ; à force d’entendre préconiser la ruse, la tromperie, et, au pis-aller, le vol comme moyen, et, comme fin, une vie joyeuse, oisive et vagabonde ; à force d’entendre répéter que l’on ne trouvait chez les riches que mépris, que cruauté pour les abandonnés, et que ceux-ci devaient regarder les riches comme l’ennemi ; après avoir été