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fois d’écurie et de magasin à fourrages pour nos trois chevaux, et le grand âne noir Lucifer.

Nous avions fait la veille une répétition générale en famille : tous les exercices s’étaient exécutés avec un merveilleux ensemble. Depuis cinq mois que durait notre tournée acrobatique, jamais représentation ne s’était annoncée sous de meilleurs auspices.

Telle est la puissance de l’habitude, que, sauf les heures de leçons, tortures presque continuelles, je supportais assez allègrement mon sort. Une fois devant le public, je m’évertuais même à travailler de mon mieux, et ma vanité était singulièrement chatouillée, lorsque je recueillais ma part d’applaudissements. Je me serais sans doute résigné à accepter sérieusement pour l’avenir la profession hasardeuse de saltimbanque, sans l’espoir toujours éveillé de mener avec Bamboche et Basquine cette bonne vie de bohème oisive et vagabonde qui était devenu l’objet de nos rêves de chaque jour.

Si je demandais à Bamboche, quand nous quitterions la troupe, il me répondait toujours d’un air mystérieux :

— Pas encore ; j’ai plus envie que toi de me sauver avec Basquine, mais il faut attendre l’occasion.

— Chaque nuit ne pouvons-nous pas quitter la Levrasse ? — lui disais-je ; — on ne nous enferme plus.

— Je le sais… rien ne nous serait plus facile.

— Eh bien !

— Il n’est pas temps encore.

— Pourquoi ?

— D’abord… parce que jusqu’ici je n’ai pas trouvé ce que je cherche. Et puis, — ajoutait Bamboche avec un accent de haine concentrée, — je ne veux pas quitter