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Bien des années se sont passées depuis le jour où Basquine me faisait ce simple et touchant récit… Bien des événements, bien des malheurs, bien des ignominies, dont j’ai été acteur ou témoin, devraient avoir flétri, endurci mon cœur, et pourtant, au seul souvenir de la voix, de l’accent, de la physionomie de cette pauvre enfant, lorsqu’elle me racontait cet épisode de la misérable et laborieuse vie de son père, mes yeux deviennent humides, comme ils le devinrent ce jour-là en écoutant Basquine.

Profondément ému d’un langage si nouveau pour moi, enthousiasmé de la foi et de l’espérance que Basquine semblait avoir dans la toute-puissance providentielle de cette sainte mère du bon Dieu, cette douce et tendre patronne des mères et des pauvres petits enfants, je dis à Basquine en toute sincérité :

— Et la bonne sainte Vierge a récompensé ton père, n’est-ce pas ?

— Oh ! non… — me dit naïvement l’enfant, en secouant avec tristesse sa jolie petite tête bouclée et faisant un grand soupir, — oh ! non… jamais…

Et me rappelant ce que mon émotion m’avait fait oublier, le douloureux tableau dont j’avais été témoin chez le charron, lors de l’enlèvement de son enfant, je repris :

— C’est vrai ; ton père n’a pas été récompensé de son courage par la bonne sainte Vierge… Mais alors à quoi donc ça sert-il, de la prier ?

— Dam !… moi, je ne sais pas… Maman nous disait de prier avec elle pour que nous soyons moins mal-