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en arrière. Mon premier progrès fut de marcher droit au lieu de marcher voûté, selon mon habitude ; ma taille, qui eût dévié sans doute, fut ainsi forcément redressée ; c’est à-peu-près là que se doit borner ma reconnaissance envers la mère Major.

Elle m’infligeait quotidiennement une sorte de torture, en procédant à ce qu’elle appelait, dans l’argot de son métier, à mon désossement. Voici comme elle procédait à ces notions élémentaires et indispensables de mon art :

Chaque matin elle m’attachait alternativement, à chaque poignet, un poids de trois ou quatre livres ; puis elle m’obligeait, sous peine d’une rude correction, de décrire avec mon bras et parallèlement à mon corps, un mouvement de rotation, d’abord assez lent, puis de plus en plus rapide, et dont l’épaule était pour ainsi dire le point pivotal.

Une fois entraîné par le poids attaché à mon poignet, ce qui centuplait la vitesse de ce mouvement, je sentais mes articulations se distendre avec de cruels tiraillements, puis (sensation étrange et très-douloureuse) il me semblait sentir mon bras s’allonger… s’allonger outre mesure, selon que ce mouvement de fronde devenait plus rapide.

Un enfantillage inexplicable me faisait quelquefois, malgré de vives souffrances, fermer les yeux, afin que, pour moi, l’illusion fût complète ; et, en effet, j’aurais alors juré que mon bras, à mesure qu’il décrivait ces cercles, atteignait de huit à dix pieds de longueur. Dans nos entretiens avec Bamboche nous appelions cela faire les grands bras et les grandes jambes.