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bras autour du corps de son enfant préférée, de sa petite Jeannette (la future Basquine), assise au bord de son lit. Il semblait vouloir instinctivement la protéger, en la retenant auprès de lui dans une étreinte convulsive ; il murmurait de temps à autre, à voix basse, avec un accent d’effroi :

L’homme… l’homme… il va venir… prends garde, prends bien garde à l’homme.

Sans doute l’homme dont le charron, dans son délire, redoutait l’arrivée, était la Levrasse.

Quant à Jeannette, je n’avais rien vu, et, depuis, je n’ai rien vu non plus qui pût approcher de la délicieuse figure de cette enfant, âgée de huit ou neuf ans. Elle n’avait pour tout vêtement qu’une mauvaise chemise de toile jaunâtre, trouée en maints endroits, et laissant nus ses bras et ses jambes, un peu amaigris, mais d’une blancheur d’albâtre ; une forêt de cheveux blonds, naturellement frisés, mais tous emmêlés, tombants jusque sur ses grands yeux noirs, couvraient son cou et ses épaules ; rien de plus pur, de plus gracieux que les traits de ce charmant petit visage, quoiqu’il fût légèrement creusé par la misère. Sa physionomie était triste ; deux ou trois fois, je vis Jeannette poser ses lèvres sur la main décharnée de son père, puis, grâce à cette mobilité d’impressions naturelle à son âge, elle reprenait un petit chantonnement mélancolique et doux, dont elle marquait la mesure en frappant l’un contre l’autre ses petits pieds nus ; notre arrivée n’avait pas interrompu ce chant ; mais lorsqu’elle nous vit approcher de sa mère, Jeannette cessa de chanter, puis, par un mouvement d’une grâce enfantine, elle écarta ses cheveux qui voi-