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de Basquine… Je sais bien comme Giroflée tourmentait la petite qui est morte.

Puis, frappant du pied avec rage, ses grands yeux gris étincelants, les veines de son front gonflées par la colère, Bamboche s’écria :

— Tiens, vois-tu, Martin… je sens que je ferai des malheurs à cause de Basquine.

L’amour horrible, mais possible, de la Levrasse ou de notre futur paillasse pour cette enfant, la haine jalouse de la mère Major, les étranges moyens auxquels Bamboche devait recourir pour se faire aimer, me parurent d’une complication si effrayante pour l’avenir de Basquine et de Bamboche, que je gardai le silence pendant que mon compagnon semblait de plus en plus s’absorber dans ses tristes pensées.

À cette heure seulement, en écrivant ces lignes après tant d’années passées depuis ces événements, je sens tout ce qu’ils offraient de monstrueux ; et, malheureusement, l’expérience, une triste expérience m’a prouvé que ces monstruosités étaient loin d’être des exceptions ; ceux qui n’ont pas forcément plongé au plus profond de certaines fanges sociales, ne sauront jamais, ne croiront jamais ce que la misère, ce que l’ignorance, ce que l’abandon engendrent de vices et d’horreurs.

Mais à l’époque dont je parle, tout enfant, et sauf quelques bons instincts, sans aucune notion du bien ou du mal, jeté dans ce milieu de cynique dépravation, je m’y accoutumai vite, et bientôt j’y vécus comme dans mon atmosphère naturelle ; ce qui me révolte aujourd’hui me semblait alors fort simple ; faute de point de comparaison… j’accusais, non les vices d’autrui, mais