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Ainsi, Joseph sort du bagne après avoir traîné à son pied le boulon de l’infamie, tout le temps qu’a voulu la loi ; il espère pouvoir cacher sa honte dans quelque carrefour de grande ville où, sans lui demander compte des jours écoulés, on lui donnera pour son travail un salaire quelconque. Point ! le garde-chiourme qui détache ses fers, dit à Joseph : Vous êtes libre, allez ! seulement rendez-vous à tel village, autrement la justice vous empoignera comme ayant rompu votre ban. Et Joseph part, triste et découragé, car il a perdu l’espérance de cacher à tous les yeux son infamant passé. En effet, il arrive au lieu désigné ; et sa venue est aussitôt apprise, puisqu’il lui faut rendre compte tous les huit jours de ses faits et gestes à la mairie de l’endroit. Nous le disons avec douleur, le passé des criminels leur ferme l’avenir ! Nul ne nous démentira, ou à celui-là nous demanderions s’il accueillerait un homme qui se présenterait ainsi à lui : Monsieur, pour vol ou pour assassinat j’ai été condamné à tant d’années de prison ou de bagne, j’ai fait mon temps, on m’a assigné cette ville pour résidence, voulez-vous me recevoir au nombre de vos ouvriers, ou me recommander à vos amis ? Non certes, il ne le ferait pas et peut-être aurait-il raison… Pourquoi un particulier faible et sans défense, si on le compare à la toute-puissante société, oserait-il plus que cette dernière ? Non, quand criminel lui déroulerait toutes les pages de son passé, un instinct répulsif le ferait tressaillir, et il lui crierait en s’éloignant : Vat-t’en ! va-t’en ! C’est qu’aussi bien peu ont cette force de volonté et cette inépuisable bonté d’âme qui faisaient que le Nazaréen s’arrêtait devant les lépreux et, sans redouter le contact de leur horrible maladie, leur imposait les mains et les ren-