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Véritables bohèmes, ces proscrits errent de provinces en provinces, de villages en villages, ayant pour compagne la misère, sœur du malheur. Il faut avoir vu, l’hiver, quand le jour tombe, ces mendiants s’abattre par bandes sur les fermes, comme les corbeaux sur les arbres rougis par l’automne, pour se former une idée de l’effroi qu’ils inspirent aux paysans. À leur entrée, la joie s’éteint, le cercle s’agrandit autour de l’âtre, les meilleures places leur sont offertes, et cela, non pas pour exercer l’hospitalité antique, mais par frayeur, mais dans la crainte que, mécontents, ils n’incendient les granges, les étables ou les meules.

Parfois aussi, quand le crime a eu un grand retentissement, quand les feuilles judiciaires ont embouché leurs plus grandes trompettes, et que l’élite des dames s’est pressée dans l’enceinte réservée pendant le cours des débats, la spéculation arrête au passage la famille du coupable. C’est ainsi que nous ayons vu Nina Lassave distribuer, moyennant trois francs, de ses autographes au comptoir d’un estaminet de Paris. C’est ainsi que, ces jours derniers, Célina Fénélon, la veuve de Montely, trônait au café de la Régence, à Limoges.

Certes, cette exploitation de hideuses célébrités est épouvantable ; et nous ne saurions trop approuver le maire de Limoges, qui a chassé la veuve de Montely de son comptoir. Mais peut-être cette femme se trouvait-elle sans moyens d’existence avec ses deux enfants ; peut-être se soumettait-elle, en pleurant tout bas, à cette triste et dure nécessité pour donner à manger aux orphelins. S’il en était ainsi, ne devrait-on pas accuser la société qui force les enfants à ramasser, pour ainsi dire, leur pain dans la honte et le sang de leur père ?