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c’est plus encore ; mais tout cela n’est rien, si l’on songe que la sainte charité de ces femmes bienfaisantes est presque toujours accueillie par l’injure et l’outrage… alors, songez ce qu’il leur faut de courage, à elles délicates que font rougir de grossières épithètes et d’infâmes invectives, pour continuer leur œuvre de bienfaisance. Leurs paroles, à mesure qu’on les blesse, deviennent plus douces ; elles témoignent aux malheureuses déchues plus de pitié, et il est rare qu’alors elles n’obtiennent pas de bons résultats.

Aussi faut-il beaucoup leur pardonner aux misérables créatures qui sont tombées ; mieux que personne elles mesurent l’abîme d’abjection où le vice les a poussées ; mieux que personne, elles savent le degré de mépris qu’elles méritent. Comme elles ne voient pas d’issue à l’enfer où elles sont descendues, rarement de leur propre volonté la pitié leur est insupportable, car elles la regardent comme inféconde. Elles attribuent à une insultante curiosité l’intérêt qu’on leur témoigne et y répondent par des outrages. Si vous leur parlez de remords, de regrets, elles vous disent :

« À quoi bon regretter d’être filles des rues, puisque nous devons mourir filles des rues ? »

Puis, c’est que souvent, pour leur faire horreur de leur infâme condition, on évoque les punitions de l’autre vie, l’enfer, les flammes éternelles, les tortures sans fin, et ces malheureuses, superstitieusement craintives, se débattent contre ces terribles visions et cherchent à les repousser par le rire et le blasphème. Mais à cette cuirasse il est un défaut, car le vice a sa pudeur, quelques charbons qui se consument sous la cendre et qui brûlent quand on souffle dessus.