elles le possèdent ; les bocages ombreux, les sources limpides, les nuits tièdes sont à elles ; fleurs et fruits, espérances et réalités, rien ne leur manque. S’égarent-elles dans ces allées riantes, se laissent-elles enivrer aux parfums de cette existence, une mère sage et prévoyante est là qui veille à leurs côtés, une mère habituée au langage de leurs yeux et de leur cœur, qui s’aperçoit aisément si la simplicité du regard est troublée et si les battements de la mamelle gauche sont moins réglés. Alors il lui est facile, à cette mère, de rompre les premiers fils de cette trame si légère, si fragile, qu’on nomme l’amour. Mais les filles du pauvre, elles, ont pleine liberté : chaque matin, leur mère va à son ouvrage d’un côté, de l’autre les filles se rendent à leur atelier, seules, exposées aux regards insolents, aux propos éhontés, aux promesses corruptrices des passants ; à elles les longues journées de travail, les veilles écrasantes pour gagner le pain de la journée et apporter leur part au pauvre souper de la famille ; à elles les désirs enflammés, les désirs immenses, infinis, car elles n’ont rien, et leur vague espoir peut s’égarer dans toutes les sinuosités fleuries de l’Éden des riches. Autour de la table où elles travaillent de riches étoffes pour les grandes dames, ces pauvres ouvrières rêvent aussi de belles robes de satin ou de velours en échange de leurs jupes de toile, de beaux chapeaux couronnés de fleurs ou ombragés de plumes au lieu du petit bonnet de calicot, et des brodequins sveltes et mignons en place des lourds sabots qui déshonorent leurs pieds ; elles plongent leurs yeux dans ce paradis infernal du luxe et de la fortune, et, éblouies par les magnificences féeriques qu’elles y découvrent, elles comparent cet horizon splendide, chatoyant, coloré, avec leur ciel gris et humide et se
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