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en entrant dans la cave qui servait de réduit à ces malheureux, je trouvai à leur chevet une dame que j’ai revue bien des fois passer dans son équipage, radieuse de jeunesse et de beauté, mais qui ne me parut jamais si belle qu’à cette place, consolant ces pauvres gens qui, pour la remercier de ses bienfaits, baignaient ses mains de larmes, en l’appelant : Ange du bon Dieu !

Oui, Morel a raison, si les riches savaient… car, pour exercer la charité il faut presque chercher la misère ! La pauvreté qui s’étale au grand jour, dans la rue, est rarement honnête. La misère réelle, celle qui n’est pas la suite de la fainéantise, de la débauche, du vagabondage, a de la pudeur et ne fait parade ni de ses haillons, ni de sa maigreur.

« Le malheur, ajoute Morel, est encore qu’il y a, par exemple, beaucoup d’agents pour découvrir les gueux qui ont commis des crimes, et qu’il n’y a pas d’agents pour découvrir les honnêtes ouvriers, accablés de famille, qui sont dans la dernière des misères… et qui, faute d’un peu de secours donné à point, se laissent quelquefois tenter… C’est bon de punir le mal, ça serait peut-être meilleur de l’empêcher… Vous êtes resté probe jusqu’à cinquante ans, mais l’extrême misère, la faim vous poussent au mal… et voilà un coquin de plus. »

Voilà une bonne pensée : outre que la bienfaisance est rare, une fortune particulière ne saurait secourir qu’un nombre limité d’indigents. S’il était organisé un service de charité, si dès qu’un ouvrier se trouve arriéré, soit par une maladie, soit par tout autre motif, la société, dont le gouvernement est le premier représentant, lui venait en aide, on le sauverait certainement de la misère. Au contraire, un premier