peindre ; c’est tout à la fois d’une grandeur et d’une simplicité inexprimables.
Loin de mettre au cœur de Morel une haine farouche pour les privilégiés de ce monde, l’auteur lui fait dire :
« Les riches ne sont pas plus durs que d’autres, Madeleine… mais ils ne savent pas, vois-tu, ce que c’est que la misère… Ça naît heureux, ça vit heureux, ça meurt heureux ; à propos de quoi veux-tu que ça pense à nous ? et puis, je te dis… ils ne savent pas… comment se feraient-ils une idée des privations des autres ? Ont-ils grand’faim, grande est leur joie… ils n’en dînent que mieux… Fait-il grand’froid, tant mieux, ils appellent ça une belle gelée ; c’est tout simple, s’ils sortent à pied, ils rentrent ensuite au coin d’un bon foyer, et la froidure leur fait trouver le feu meilleur ; ils ne peuvent donc pas nous plaindre beaucoup, puisqu’à eux la faim et le froid leur tournent à plaisir. Ils ne savent pas, vois-tu, ils ne savent pas. »
Cette résignation, nous y croyons parce que nous l’avons trouvée chez deux vieillards que toutes les misères accablaient à la fois. Il y a de cela deux ou trois ans, rue des Curés, derrière l’Entrepôt, dans la maison connue sous le no1, habitait un pauvre ménage, le mari et la femme, centenaires tous les deux. Aveugle depuis dix-sept ans, le mari n’avait pour soutien dans ce monde que sa femme, car Dieu, après leur avoir accordé vingt-cinq enfants, les avait tous rappelés à lui ! Ils ne blasphémaient pas ; ils espéraient ! — Si les bonnes âmes savaient que nous sommes si malheureux, me disaient-ils, on nous soulagerait. — Convaincu de cela, touché de leur résignation, j’écrivis quelques lignes sur cette misère, et, un jour,