Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chaume à demi pourri par l’humidité, plus loin de touffes de genêts desséchés, amoncelés sur une charpente boiteuse.

Ces bâtimens, formant la grange, la bergerie, l’écurie, l’étable et le logement du métayer, entouraient une cour aux trois quarts remplie d’une masse de fumier infect, baignant dans une mare assez creuse, aux eaux noires, fétides et stagnantes, entretenue par le suin et par les filtrations du sol marécageux. Cet amas de liquide nauséabond, couvert d’une couche de viscosité bleuâtre, envahissait tellement la cour du côté de l’habitation du fermier, que celui-ci s’était vu forcé de construire une sorte de digue en pierraille, recouverte de fagots d’ajoncs épineux, où aboutissaient trois ou quatre marches moussues, disjointes, qui conduisaient à la seule chambre dont se composait son logis.

Au levant de cette métairie, enfouie dans un bas-fond si malsain, s’étendait une immense plaine de landes tourbeuses ; au nord, s’élevait un massif de grands chênes, tandis qu’au couchant une étroite chaussée de gazon séparait seulement ces bâtimens d’un vaste marais, l’hiver et l’automne, toujours couvert d’un épais brouillard, et qui, l’été, lorsque, aux ardeurs du soleil, fermentait son limon, remplissait l’atmosphère de miasmes pestilentiels.

La nuit allait venir ; c’était l’heure à laquelle les animaux rentraient des champs. Bientôt, traversant la mare d’eau infecte pour regagner leur étable, arrivèrent quelques vaches efflanquées, osseuses, aux mamelles presque desséchées, au poil terne, couvert en quelques endroits d’une croûte épaisse de fange ; l’insuffisante pâture des bruyères, des ajoncs et des prés, presque constamment submergés, causait l’état de maigreur de ce troupeau ; il était conduit par un enfant de quinze ans, auquel on en eût donné dix à peine ; il avait les jambes nues, violâtres et crevassées par l’habitude de marcher sans cesse dans un sol marécageux. Pour unique vêtement, cet enfant portait un pantalon en lambeaux, et sur la peau (à cette race déshéritée, les chemises sont inconnues), un sarrau de grosse toile bise, trempé de la pénétrante humidité du soir. Ses cheveux jaunâtres s’emmêlaient raides et épais comme une crinière ; ses joues creuses et livides ses lèvres d’une blancheur scorbutique, son œil éteint, ses pas traînants, annonçaient qu’il avait, ainsi qu’on le dit dans le pays, les fièvres. Quant aux moyens curatifs, ces malheureux n’y peuvent songer : le médecin demeure à des distances énormes, et d’ailleurs sa visite coûterait trop cher ; ils ont donc les