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malgré sa dureté, et oubliant sans doute ma présence, — c’est égal, j’y vas aussi… c’est plus prudent… la Levrasse a ce soir quelque chose de mauvais dans l’œil.

Et, jetant le paquet de cordes qu’elle tenait sous son bras, elle s’avança vers la porte, me laissant désespéré, car c’était pour moi, pour avoir voulu faciliter mon évasion, que Bamboche allait subir une punition qui me semblait d’autant plus terrible qu’elle était plus mystérieuse.

Alors, saisissant la mère Major par le bras :

— C’est moi qui voulais me sauver… — m’écriai-je, — c’est pour moi que Bamboche avait préparé la corde,… c’est moi qui la lui avais demandée, c’est moi qui dois être puni.

— Ah ! tu voulais te sauver, toi ! C’est bon à savoir, — dit la mère Major en m’examinant avec attention, — et ce brigand de Bamboche t’aidait,… vous me valez pas mieux l’un que l’autre. Vous voulez nous filouter l’état que nous vous donnons,… mais, minute, je suis là !

Et, ce disant, la mère Major me laissa dans la chambre aux chevelures, et ferma la porte à double tour.

Dans mon désespoir, je me jetai sur le carreau, je fondis en larmes, car je me reprochais d’être la cause involontaire de la punition de Bamboche.

Cette première crise de douleur passée, j’écoutais si je n’entendrais pas les cris de mon compagnon.

Tout resta dans le plus profond silence.

Je me hissai jusqu’à la petite fenêtre, grillée par deux barres de fer en croix, je ne vis rien.

La nuit vint. À l’heure du repas, j’entendis frapper à ma porte, et bientôt après, la voix de la Levrasse.

— Petit Martin… tu te coucheras sans souper, ça calmera ton agitation ; demain, l’homme-poisson, ta nouvelle connaissance, te consolera.

Je passai une nuit pénible, cent fois plus pénible que celle que j’avais passée dans cette même chambre, lors de mon arrivée chez la Levrasse.

Vers minuit, brisé de fatigue, de chagrin, je m’endormis d’un sommeil troublé par des rêves sinistres : je voyais Bamboche soumis à d’affreuses tortures, je l’entendais me dire : « Martin, Martin, c’est ta faute… » Au milieu de ces songes effrayants m’apparaissait