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empoigne, — et il accompagna ce tendre reproche d’un vigoureux horion.

— Et toi qui m’avais dit que nous ne nous quitterions jamais ! — répondis-je, non moins indigné, tiens… attrape, — et je ripostai par un coup de pied.

— Mais moi je sais bien le mal que tu endures ici… gredin !… — reprit Bamboche, en continuant cette touchante scène de pugilat, — Voilà pour toi !

— Mais tu sais bien aussi que pourvu que nous soyons ensemble, ça me serait égal d’être battu comme plâtre ! — et je frappai à mon tour.

— À la bonne heure, — dit Bamboche en se calmant peu à peu. — Mais moi, je reste pour attendre Basquine… sans cela, est-ce qu’il n’y a pas longtemps que j’aurais mis le feu à la baraque pour y rôtir la Levrasse et la mère Major, et que nous aurions filé ? Mais puisque je suis retenu ici, file tout seul.

— Jamais, car, une fois Basquine ici, si tu veux te sauver avec elle, vous aurez besoin de moi…

Et la lutte fut un moment suspendue.

Bamboche, toujours violent dans ses amitiés comme dans sa haine, fit un mouvement pour se jeter de nouveau sur moi. Incertain de ses intentions, je me mis, à tout hasard, sur la défensive. Inutile précaution. Ce singulier garçon me serra contre sa poitrine avec effusion, en me disant d’une voix émue :

— Martin, je n’oublierai jamais ça…

— Ni moi non plus, Bamboche.

Et je lui rendis son amicale étreinte d’aussi bon cœur que je lui avais rendu ses coups de poing.

— Tonnerre de Dieu… qu’est-ce que j’ai donc pour toi ? — me dit-il, après un moment de silence. J’ai beau me tâter, je n’y comprends rien.

— Ni moi non plus ; Bamboche, tu es pour tout le monde un diable incarné, tandis que, pour moi… au contraire… et c’est ça qui m’étonne.

Après un nouveau moment de silence pensif, Bamboche reprit d’un air moitié railleur, moitié triste, qui ne lui était pas naturel :

— Je ne sais pas comment ça s’est fait que je t’ai parlé de mon père… Avant toi… je n’en avais parlé à personne… mais, sur le coup ça m’aura attendri un morceau de cœur… Tu te seras f…ichu