Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle, Basquine, veut seule avec toi régler les conditions… Ainsi, prends garde, — ajouta Scipion avec un accent de menace inexorable, — satisfais Basquine… mon mariage, et par conséquent le tien, sont à ce prix… sinon, non.

— Le comte croyait assez connaître les antécédens de Basquine pour voir dans la passion dépravée qu’elle avait su inspirer à son fils, un abîme où pouvaient non-seulement s’engloutir ses plus chères espérances, à lui, Duriveau, mais encore l’avenir, l’honneur, peut-être la vie de Scipion. Tout à coup, se frappant le front, comme si un souvenir soudain lui venait à l’esprit, le comte tira de sa poche le signalement de Bamboche, que l’un de ses convives lui avait remis : sur ce signalement, on lisait, on le sait, que le prisonnier fugitif avait, entre autres tatouages, ces mots écrits sur la poitrine, à l’endroit du cœur :

Amour éternel à Basquine.

Le comte donna ce papier à son fils.

— Lisez et vous verrez que cette infâme a été la maîtresse d’un assassin… du bandit que l’on traquait ce matin dans ces bois.

Scipion lut le papier, le remit au comte, et répondit froidement :

— Qu’est-ce que cela prouve ? que c’est peut-être pour elle que cet homme est devenu bandit et assassin… Ça ne m’étonne pas.

— Mais moi, Monsieur, cela m’épouvante pour vous, — s’écria le comte en se redressant de toute sa hauteur, le regard menaçant, le geste impérieux, l’attitude énergiquement décidée.

Et comme un sourire de persiflage errait sur les lèvres de Scipion, le comte s’écria :

— Oh ! il n’y a plus à railler, à parler de Géronte et d’Orgon ! j’ai été faible, imprudent, lâche, criminel, oui, criminel, car je vous ai laissé impunément souffleter sur ma joue la dignité paternelle : mais c’est assez. Je vous dis, moi, que c’est assez, entendez-vous ? — s’écria le comte effrayant d’indomptable résolution. — Il ne s’agit plus maintenant de roueries insolentes ou infâmes, que le monde tolère, et que j’ai eu, je l’avoue, l’indignité d’encourager en vous citant mon exemple ! il s’agit d’un amour affreux, qui peut vous conduire à l’infamie, oui, à l’infamie, parce que aimer cette infernale créature, c’est aimer sciemment le vice, la dépravation, et risquer d’arriver peut-être un jour au crime ; parce que… — Puis s’interrompant avec un violent