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— Ah ! ma mère… — répondit Raphaële avec abattement, — à la vue de ce pauvre petit enfant mort, qui était le sien… le regard de Scipion est resté sec et arrogant… Cela m’épouvante… Cela me fait douter de son cœur, et pourtant je sens que toujours je l’aime. Lui, à présent, le maître absolu de mon honneur comme il l’est de mon cœur, Oh ! c’est affreux à penser !… si à cette heure il manquait à sa parole… si le mépris… l’abandon…

— Pour toi ? le mépris… l’abandon… mais je serais donc morte alors ! — s’écria madame Wilson avec une incroyable énergie. — Oh ! non, non, rassure-toi, mon enfant, Scipion tiendra sa promesse… il la tiendra parce qu’il t’aime… il la tiendra… parce qu’il faut qu’il la tienne… parce qu’il n’y a pas de puissance humaine, vois-tu ?… qui puisse maintenant s’opposer à ce mariage…

— Ah ! ma mère, si vous saviez l’inflexibilité du caractère de Scipion !… Oh ! s’il ne m’aime plus, rien ne l’empêchera de m’abandonner, — murmura la jeune fille avec un abattement douloureux.

Les anxiétés de Raphaële, l’altération croissante de ses traits, déchiraient le cœur de Mme Wilson. Elle connaissait l’excès de sensibilité de sa fille, que cet amour avait déjà failli tuer. De plus en plus effrayée de l’abattement de cette infortunée, voulant à tout prix lui donner foi dans l’avenir en lui dévoilant le passé, elle se résigna à une révélation jusqu’alors tenue secrète par la modestie de son dévoûment maternel.

Après un moment d’hésitation, s’adressant à Raphaële :

— Réponds-moi, mon pauvre ange… Avant ce jour où, éperdue, insensée, tu es allée chez Scipion… on t’aurait dit : Renoncez à cet amour…

— Je serais morte…

— Aujourd’hui… on te dirait : Il faut renoncer à cet amour, à ce mariage…

— Je mourrais à la fois et d’amour et de honte.

— Oui… je le crois, je le sais, tu mourrais d’amour et de honte… mais je ne veux pas que tu meures, moi, et pour que tu vives, il me faut te rassurer ; et pour te rassurer, il me faut te prouver que rien au monde ne peut s’opposer à ton mariage… pas même la volonté de Scipion… entends-tu bien ? il me faut enfin te prouver que si, pour assurer cette union, j’ai fait, je puis le dire, l’impossible…

— Vous, ma mère ?

— Oui… et alors, tu le vois, le possible, à cette heure, ne sera