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— Mon Dieu ! mon Dieu ! Bruyère, qu’avez-vous ? Pourquoi ces réticences, ce trouble, ces larmes ?

… Ce n’est rien, dame Perrine, — reprit Bruyère en tâchant de se montrer plus calme. — Les paroles du père Jacques… l’espoir qu’elles m’ont donné, me font, je crois, perdre la tête… Excusez-moi, dame Perrine.

— Allons ! ma pauvre enfant, — dit Mme Perrine en baisant Bruyère au front, — remettez-vous… causons… Tout à l’heure, à propos de votre entretien avec ce vieux berger, vous m’avez demandé conseil ?

— Oui, dame Perrine… car, d’après ce que m’a dit le père Jacques, peut-être… un jour, pourrais-je connaître mes parents.

— Et comment ?

— Écoutez, dame Perrine, je suis une enfant abandonnée. Peut-être… mon père… ma mère… ont été forcés, par la nécessité, de me délaisser ainsi…

— À moins qu’on n’enlève… un enfant à sa mère, et cela de force… ou pendant qu’elle dort, une femme qui abandonne librement son enfant… est un monstre ! — s’écria Mme Perrine avec une exaltation singulière.

Et, pour la première fois, depuis son entretien avec Bruyère, son pâle visage se colora d’une vive rougeur, ses yeux étincelèrent.

À peine la mère de Martin eut-elle prononcée ces mots, que Bruyère poussa un cri déchirant, couvrit son visage de ses deux mains, et tomba à genoux en criant :

— Grâce !!! grâce !

— Bruyère… qu’avez-vous ?… Pourquoi me demander grâce ? — dit madame Perrine en voyant l’effroi, la douleur, le désespoir se peindre sur les traits de la jeune fille.

Puis, tout-à coup, croyant deviner la cause de ce trouble, suppliante à son tour, elle reprit d’une voix désolée :

— Bruyère !… pardon ; c’est moi, chère enfant, qui vous demande grâce, car, sans le vouloir… et emportée par un premier mouvement, j’ai peut-être outragé votre mère… Pardonnez-moi… pauvre petite… j’ai eu tort de parler comme je l’ai fait… Mon Dieu !… souvent… une malheureuse jeune fille… trahie… abandonnée… n’a plus la tête à elle… que voulez-vous ? la crainte… la honte…

— Oh ! oui, n’est-ce pas, dame Perrine, — s’écria Bruyère en frissonnant, — la honte… c’est si affreux, la honte… et puis les