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lesquelles erraient çà et là quelques maigres bestiaux cherchant une pâture insuffisante au milieu des genêts et des ajoncs, pendant que de pauvres petits bergers, en haillons et tremblant la fièvre, traînaient leurs pas languissants à la suite de leurs chétifs troupeaux ; plus de ces marais à l’onde épaisse, immobile et couleur de plomb, où se reflétaient parfois les murailles crevassées de quelque misérable métairie, bâtie de boue, et couverte d’une toiture de chaume à demi effondrée…

Tout enfin, dans ce pays, en peu de temps, avait changé, tout… jusqu’à l’air que l’on y respirait… air alors aussi salubre, aussi pur, aussi léger qu’il était autrefois pesant et méphitique.

Bientôt le voyageur aurait eu le secret de cette incroyable métamorphose, en remarquant de larges canaux maçonnés en brique, coupés çà et là par des ponts à la fois élégants et solides, sous lesquels coulaient incessamment des eaux abondantes, alimentées par des conduits souterrains, dont la pente, habilement calculée, amenait constamment dans ces canaux, artères principales, les eaux stagnantes qui, faute d’écoulement, submergeant, détrempant, pourrissant le sol, depuis des siècles, le frappaient d’infection et de stérilité.

Enfin, ô prodige du travail et de l’intelligence de l’homme ! secondées par le capital, ces eaux, naguères le fléau de ce pays, comptaient alors parmi sa richesse… Sortant des canaux, elles affluaient dans d’immenses bassins naturels formés par plusieurs étangs, conservés en raison de l’élévation relative de leur niveau ; puis, de là, remontant dans de vastes réservoirs, à l’aide de moulins à vent d’un mécanisme aussi simple qu’ingénieux[1], elles pouvaient se distribuer selon les besoins de l’agriculture, par mille conduits d’irrigation.

Ainsi ces terrains immenses que nous avons vus, au commencement de ce récit, boueux, méphitiques, incultes, étaient déjà complétement assainis, défrichés, et, dans beaucoup d’endroits, façonnés pour les ensemencements d’automne…

  1. Nous saisissons avec empressement cette occasion de rendre publiquement hommage et justice à l’admirable invention de M. Durand, qui, après des travaux et des combinaisons d’une difficulté extrême, est parvenu à établir des moulins à irrigations, qui, mus par la force du vent, s’orientent d’eux-mêmes et s’effacent d’eux-mêmes lors des bourrasques. Cette grande et utile invention, que nous voyons fonctionner depuis bientôt deux ans, à déjà rendu et doit rendre les plus immenses services à l’agriculture, en donnant des moyens d’irrigation aussi faciles que peu coûteux.