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vie insupportable… en me séparant à jamais de vous, ou me forer à un scandale… qui maintenant m’épouvante… malgré mon amour pour vous… Enfin… Just… est-ce vrai, cela ? ne pourrait-il pas nous faire bien du mal ?

— Beaucoup de mal… — répondit Just d’une voix sourde ; — mais le mal… appelle le mal.

— Mon Dieu, que je suis malheureuse ! — s’écria Régina d’un ton déchirant ; — vous ne voulez rien entendre non plus ; vous ne voulez pas voir la position où je suis envers lui, qui vient de venger la mémoire de ma mère, et qui se montre envers nous d’une admirable générosité… Il ne faut pourtant pas non plus être injuste et impitoyable pour ceux qui souffrent et qui se repentent !

Et j’entendis Régina éclater en sanglots.

Après quelques instants de silence, pendant lesquels dut s’opérer un changement presque complet dans les sentiments de Just, il reprit d’une voix douce et triste :

— Vous avez raison, Régina… il ne faut pas être injuste… impitoyable pour ceux qui aiment… qui se repentent et qui souffrent cruellement de n’être plus aimés…

— Que dites-vous ?

— La vérité… Régina… Un moment le fatal égoïsme de la passion m’a aveuglé… je vous ai dit : ne pensons qu’à nous… servons-nous de la générosité de votre mari, puis, désormais heureux, oublions-le dans son désespoir. Je vous ai dit cela… Régina… c’était mal… c’était lâche…

— Oh ! vous êtes ce qu’il y a de meilleur, ce qu’il y a de plus noble au monde…

— Je vous aime, Régina, voilà tout ; je veux que toujours nous soyons dignes l’un de l’autre… Tout à l’heure… brisée, déchirée par une de ces luttes affreuses auxquels les grands cœurs sont seuls exposés… vous êtes venue à moi dans vos irrésolutions, dans vos angoisses, dans vos terreurs. Pauvre femme… et à moi, que vous croyez généreux et fort… vous, vous m’avez demandé, que faut-il faire ?

— Oui… Just… parlez… et quoi que vous ordonniez, j’obéirai ; dites : que faut-il faire ?

— Ce n’est pas moi qui vais vous le dire, Régina… c’est mon père, — reprit Just d’une voix profondément émue ; il m’a souvent répété dans son langage simple et austère : — « Mon enfant… je n’admets pas l’indécision dans les graves questions de la vie ; un seul parti